Adieu ma mère
Non, mais pourquoi as-tu jeté ma mère à terre ? Que t’a-t-elle fait ? Dis-moi que c’est un accident, que tu n’as pas voulu faire ça… C’était une maladresse ?
Tu étais d’accord pour qu’elle entre dans notre vie. Tu n’as rien objecté quand je t’ai annoncé mon désir de la trouver et de la ramener ici.
Elle ne dérangeait personne ici, et même elle s’acquittait de sa tâche avec succès. Je crois que nous n’avons jamais été déçus. Jamais.
Maintenant, la pauvre gît au sol dans une mare rouge, toute flasque : elle ne ressemble plus à rien !
Je vais avoir du mal à te pardonner. Rassure-moi : ce n’était pas un acte prémédité au moins ? Tu ne lui en as pas voulu parce que sur chaque bouteille de vin rouge que tu buvais, je lui en réservais un peu ? Non, ce n’est ça tout de même ? Dis-moi que c’est un accident.
Oui, c’est vrai : ça tournait vinaigre. Mais c’est ce que j’attendais de sa présence ici.
Je la regarde. Elle me dégoûte.
Qu’est-ce qu’on va faire d’elle ? Je ne sais pas… On n’a plus qu’à la mettre sur le tas de compost pour qu’elle se décompose. Ça me fend le cœur mais je ne vois pas ce qu’on pourrait faire d’autre d’elle dans cet état !
« Très chère mère, Mycoderma aceti, nous te regretterons ici. Tu es partie trop tôt, ma gélatineuse. Je t’avais offert un superbe pot de grès pour que tu t’y développes et jamais tu ne m’as déçue : chaque fond de bouteille rouge fut traité avec succès pour nous offrir un vinaigre de qualité tout au long de ces années. Décompose-toi en paix ! »